44.

La médecine des âmes

 

 

— Gaby…

— On n’a pas le temps de tergiverser. Je l’aurais bien fait moi-même, mais je ne me frapperais pas suivant le bon angle. Il n’y a pas d’autre moyen.

— Je… je ne peux pas…

— Même pour Jamie ? (J’ai plaqué le plus fort possible le côté indemne de mon visage contre l’appuie-tête et j’ai fermé les yeux.)

Jared tenait dans sa main la pierre que j’avais trouvée. Il la soupesait en silence.

— Il te suffit d’arracher les premières couches de l’épiderme. Juste pour cacher la cicatrice. Allez Jared, il faut se dépêcher. Fais-le pour Jamie.

Dis-lui que je lui ordonne de le faire. Et de ne pas y aller de main morte !

— Mel dit qu’il le faut. Elle te demande de frapper un bon coup. Pour ne pas devoir t’y reprendre à deux fois.

Un silence.

— Fais-le, Jared !

Il a pris une grande inspiration, comme s’il avait été en apnée depuis longtemps. J’ai senti l’air bouger, j’ai fermé les yeux.

Ça a fait un son creux. Cela a été ma première sensation, puis la douleur est montée…

J’ai lâché un gémissement. Je voulais pourtant ne rien laisser paraître. Je savais que ça allait rendre les choses plus pénibles encore pour lui. Mais c’était involontaire. Une réaction du corps. Des larmes ont perlé dans mes yeux et j’ai toussé pour cacher un sanglot. Ma tête sonnait comme un carillon.

— Gaby ? Mel ? Pardon !

Ses bras nous ont entourées, nous ont serrées contre lui.

— Ça va, ai-je marmonné. On va bien. Toutes les deux. Tu as réussi ?

Sa main a soulevé mon menton pour me tourner la tête.

Il a lâché un hoquet de stupeur.

— Je t’ai arraché la moitié du visage. Je suis désolé.

— Non, c’est parfait. Parfait. Allons-y maintenant.

— Oui. (Sa voix chevrotait encore, mais il m’a installée au fond de mon siège, a bouclé soigneusement ma ceinture de sécurité et a passé la marche avant.)

L’air frais fouettait mon visage ; ça faisait mal, comme des milliers d’aiguilles – les joies de la climatisation !

J’ai ouvert les yeux. On longeait un lit à sec, aplani artificiellement. Il serpentait devant nous, disparaissant derrière un buisson. Je ne voyais pas grand-chose.

J’ai baissé le pare-soleil et ouvert le miroir. Sous le clair de lune, mon visage apparaissait en noir et blanc. Noir du côté droit, avec des traînées sombres qui maculaient mon menton, et plus bas le col de mon tee-shirt tout propre.

Mon estomac s’est contracté.

— Beau travail…

— Ça fait mal ?

— Pas trop, ai-je menti. De toute façon, ça va passer. On est loin de Tucson ?

Au moment où je prononçais ces mots, j’ai aperçu la route goudronnée devant nous. C’est drôle comme la vue de ce ruban noir m’a emplie de panique. Jared s’est arrêté, veillant à rester caché par les buissons. Il est descendu de voiture, a ôté les bâches et les chaînes accrochées au pare-chocs et les a rangées dans le coffre. Il est revenu au volant et sorti du couvert après s’être assuré que la nationale était déserte. Il s’est penché vers le tableau de bord pour allumer les phares.

— Attends, ai-je murmuré. (Je ne pouvais parler plus fort. Je me sentais totalement vulnérable.) Laisse-moi conduire.

Il m’a regardée.

— Je ne peux pas être venue à pied à l’hôpital. Cela va paraître louche. Je dois conduire. Toi, tu te caches derrière et tu m’indiques le chemin. Tu as de quoi te couvrir ?

— D’accord, a-t-il répondu en ralentissant. (Il a enclenché la marche arrière pour regagner les fourrés.) Je vais me cacher. Mais si tu m’emmènes ailleurs, je…

Oh ! Melanie était outrée.

— Oui. Tue-moi, ai-je dit d’une voix atone.

Il n’a rien répondu. Il est descendu de voiture en laissant le moteur tourner. Je me suis glissée derrière le volant. J’ai entendu le capot du coffre claquer.

Jared s’est installé sur la banquette arrière avec une grosse couverture sous le bras.

— Prends à droite, a-t-il ordonné.

La voiture était équipée d’une boîte de vitesses automatique, mais cela faisait longtemps que je n’avais pas conduit. Je manquais d’assurance. Je roulais avec prudence, ravie de voir que je savais encore tenir un volant. La route était quasiment déserte. Je me suis engagée sur la chaussée, et mon cœur s’est mis à cogner dans ma poitrine devant cet espace à découvert qui s’ouvrait autour de moi.

— Les phares ! a lancé Jared, allongé sur la banquette arrière.

J’ai cherché à tâtons l’interrupteur et j’ai allumé les phares. Ils étaient si brillants qu’on les voyait à des kilomètres à la ronde !

Nous n’étions pas loin de Tucson, j’apercevais un halo orange à l’horizon.

— Roule donc un peu plus vite.

— Je suis pile à la vitesse autorisée.

Il y a eu un petit silence.

— Les âmes ne dépassent jamais les limitations de vitesse ?

— Nous suivons scrupuleusement toutes les lois, le code de la route inclus ! ai-je répliqué avec un rire un peu hystérique.

Les lumières dans le ciel se sont faites plus nettes. Je distinguais à présent chaque point lumineux. Un panneau vert m’a indiqué les sorties possibles.

— Prends Ina Road.

J’ai obéi. Pourquoi parlait-il à voix basse ? Nous aurions pu crier à tue-tête que personne ne nous aurait entendus !

C’était étrange de pénétrer dans cette ville inconnue : voir ces maisons, ces immeubles, ces magasins éclairés. Je me savais cernée, vulnérable. J’imaginais ce que devait ressentir Jared. Son ton, pourtant, demeurait étrangement calme. Certes, il avait déjà fait des dizaines d’expéditions en terre étrangère.

Nous croisions d’autres voitures désormais. Quand leurs phares frappaient le pare-brise, je grimaçais de terreur.

Ce n’est pas le moment de flancher, Gaby. Tu dois être forte pour Jamie. Il faut que tu y arrives, sinon tout est perdu.

J’y arriverai !

Je me suis concentrée sur Jamie et mes mains se sont faites plus fermes sur le volant.

Jared m’a dirigée à travers la ville endormie. C’était un tout petit Centre de Soins ; sans doute n’était-ce autrefois qu’un simple cabinet médical regroupant plusieurs médecins. Il y avait de la lumière aux fenêtres. J’ai aperçu une femme derrière un comptoir. Elle n’a pas levé les yeux au passage de mes phares. Je me suis garée au bout du parking.

J’ai passé le sac à dos sur mes épaules. Il avait déjà servi, mais il était en bon état. Parfait. Il restait encore une chose à faire.

— Vite ! Donne-moi le couteau.

— Gaby… Je sais que tu aimes Jamie, mais franchement, je ne pense pas que tu pourrais t’en servir. Tu n’as rien d’une amazone.

— Ce n’est pas contre eux, mais contre moi. J’ai besoin d’une blessure.

— Mais tu es déjà blessée ! Ça suffit !

— Il me faut une entaille comme celle de Jamie. Je n’en connais pas assez sur l’art de soigner. Je dois savoir exactement quoi faire. Je l’aurais fait plus tôt, mais je ne n’étais pas sûre de pouvoir conduire.

— Non, Gaby. Pas encore.

— Donne-moi ce couteau ! On va trouver ça bizarre si je ne sors pas de la voiture.

Jared a pris sa décision dans la seconde. Jeb disait qu’il était le meilleur en expédition, parce qu’il réagissait vite et bien. J’ai entendu l’acier glisser contre le cuir de l’étui.

— Fais attention. Ne va pas trop profond.

— Tu veux le faire ?

Il a eu un mouvement de recul.

— Non.

— D’accord.

J’ai pris le couteau – une horreur de couteau ! Un manche épais, une lame tranchante comme un rasoir se terminant par une pointe acérée.

Je devais me concentrer. Ne pas être lâche. Le bras, pas la jambe… C’est le seul temps de réflexion que je me suis accordé. Mes genoux étaient tout égratignés. Je ne voulais pas avoir à cacher ça aussi.

J’ai tendu mon bras gauche ; ma main tremblait. Je me suis plaquée contre la portière, j’ai tourné la tête pour pou voir mordre l’appuie-tête. Je tenais le couteau dans ma main droite, avec maladresse mais détermination. J’ai pressé la pointe sur la peau de mon avant-bras pour être certaine de ne pas rater mon coup. Et j’ai fermé les yeux.

J’entendais la respiration de Jared s’accélérer. Vite, sinon il allait m’arrêter !

Dis-toi que tu as une bêche dans la main. Que tu veux fendre le sol…

J’ai enfoncé le couteau dans mon bras.

L’appuie-tête a étouffé mon cri, mais celui-ci est resté audible. J’ai lâché le couteau. Il est resté planté un moment dans ma chair – une vision cauchemardesque – avant de retomber au sol.

— Gaby ! a soufflé Jared.

Je ne pouvais pas lui répondre. Pas encore. J’étais occupée à contenir un cri de douleur qui montait dans ma gorge. J’avais été bien avisée de ne pas faire ça avant de prendre le volant.

— Fais-moi voir !

— Reste ici, ai-je hoqueté. Ne bouge pas !

J’ai entendu la couverture bruisser derrière moi malgré mes consignes. J’ai plaqué mon bras contre ma poitrine et j’ai ouvert la portière. J’ai senti la main de Jared dans mon dos au moment où je m’extirpais de la voiture – ce n’était pas pour me retenir, mais pour m’encourager.

— Je reviens vite, ai-je lancé, les mâchoires crispées, et j’ai refermé la portière d’un coup de pied.

J’ai traversé le parking en chancelant, entre nausée et panique, chacune tentant de prendre le contrôle de mon corps. La douleur était supportable… ou en tout cas, je la percevais moins. J’étais en état de choc. Trop de douleurs physiques, émotionnelles, se télescopaient. Mon sang coulait entre mes doigts. Je n’étais pas sûre de pouvoir les bouger encore. Je n’osais pas essayer.

L’infirmière derrière le comptoir – la quarantaine, une peau chocolat et quelques mèches blanches dans ses cheveux noirs – s’est levée d’un bond en me voyant passer les portes automatiques.

— Doux Jésus ! (Elle a attrapé un microphone et ses mots ont résonné au plafond, amplifiés :) Soigneuse Tisse-le-Feu est demandée à la réception pour une urgence !

— Non, ce n’est rien, ai-je répondu calmement, mais je chancelais sur mes jambes. Tout va bien. C’est juste un petit accident.

Elle a posé le microphone et a accouru vers moi. Ses bras se sont refermés autour de mes épaules pour m’empêcher de tomber.

— Eh bien, ma pauvre, que vous est-il arrivé ?

— C’est entièrement ma faute, ai-je marmonné. Je bivouaquais dans le désert… Je suis tombée sur une pierre… J’avais un couteau à la main… Je venais de dîner et je rangeais mes affaires…

Mes hésitations semblaient dues au choc. Il n’y avait aucune suspicion dans les yeux de la femme, ni de l’amusement, comme c’était le cas de Ian quand je mentais devant lui. Juste de la sollicitude.

— Ce n’est vraiment pas de chance ! Comment vous appelez-vous ?

— Aiguilles-de-Verre, ai-je répondu en reprenant un nom très répandu quand je vivais chez les Ours.

— D’accord Aiguilles-de-Verre. Ah ! Voilà la Soigneuse. Elle va s’occuper de vous.

Je n’avais plus du tout peur. La femme m’a tapoté gentiment le dos. Elle était si douce, si compatissante. Jamais elle ne me ferait du mal.

La Soigneuse était plutôt jeune ; ses cheveux, sa peau, ses yeux avaient la même couleur caramel. Cela faisait un curieux effet monochromatique. Elle portait une blouse marron qui renforçait encore cette impression.

— Bonjour. Je suis la Soigneuse Tisse-le-Feu. Je vais vous réparer tout de suite. Que s’est-il passé ?

J’ai à nouveau raconté mon histoire pendant que les deux femmes me conduisaient vers la première porte du couloir. Elles m’ont allongée sur une table d’auscultation couverte d’un voile de papier.

La pièce m’était familière. Je n’avais été qu’une seule fois dans un lieu similaire, mais Melanie avait beaucoup de souvenirs d’enfance. La rangée d’armoires blanches, l’évier où la Soigneuse se lavait les mains, les murs immaculés…

— Commençons par le début ! a lancé Tisse-le-Feu d’un ton enjoué.

Elle a ouvert la porte d’une des armoires. J’ai tendu la tête pour ne rien rater de ses faits et gestes. C’était crucial. L’armoire était emplie de rangées de boîtes blanches de forme cylindrique. Elle en a pris une, sans hésitation. Elle savait laquelle elle voulait. Il y avait une étiquette sur la boîte, mais je n’ai pas réussi à la lire.

— D’abord, Stop Douleur ! Ce serait le bienvenu, non ?

J’ai vu de nouveau l’étiquette au moment où elle a dévissé le capuchon. Il y avait deux mots écrits dessus… Stop Douleur. C’était ça le nom ?

— Ouvrez la bouche, Aiguilles-de-Verre.

J’ai obéi. Elle a posé sur ma langue une minuscule pastille carrée qui s’est dissoute aussitôt. Ça n’avait aucun goût. J’ai dégluti par automatisme.

— Ça va mieux ? a demandé la Soigneuse.

— Oui.

C’était la vérité. Déjà ma voix était redevenue claire, mes idées aussi. Je n’avais plus de mal à me concentrer. La douleur avait disparu, comme par enchantement. J’ai battu des paupières, stupéfaite.

— Je sais que vous vous sentez mieux, mais ne bougez pas, s’il vous plaît. Vos blessures ne sont pas traitées.

— Bien sûr.

— Bleu-Céleste, pouvez-vous nous apporter un peu d’eau ? Elle a la bouche desséchée.

— Tout de suite, Soigneuse.

L’infirmière est sortie de la pièce.

Tisse-le Feu s’est tournée de nouveau vers ses armoires à pharmacie. Elle a ouvert une autre porte – encore des boîtes blanches. Elle en a pris une sur la gauche, et une autre sur la droite.

Comme si elle voulait me faciliter la tâche, elle a énoncé les noms des médicaments :

— Du Tout Propre, Intérieur et Extérieur… du Réparateur Universel… du Scellement… et, ah ! oui, du Tout Lisse. Ce serait dommage d’avoir une cicatrice sur un si joli minois, n’est-ce pas ?

— Euh, oui…

— Ne vous inquiétez pas. Vous allez être comme neuve !

— Merci.

— Mais je vous en prie. Tout le plaisir est pour moi.

Elle s’est penchée vers moi avec, à la main, l’une des boîtes cylindriques. Quand elle a retiré le couvercle, cela a fait un pop ! Dessous, il y avait la buse d’un aérosol. Elle m’a aspergé le poignet, couvrant mon entaille d’une fine mousse inodore.

— Soigneur… Ce doit être un métier plein de satisfaction. (Mon ton était parfait. Intéressé, mais pas trop.) Je n’ai pas mis les pieds dans un Centre de Soins depuis mon insertion. C’est vraiment un Emploi passionnant.

— Oui, je l’apprécie beaucoup.

— Que faites-vous au juste en ce moment ?

Elle a souri. Ça ne devait pas être la première âme curieuse qu’elle rencontrait.

— Je mets du Tout Propre Extérieur pour éliminer les corps étrangers de la blessure. Ça tue tous les microbes qui pourraient infecter l’organisme.

— Du Tout Propre…, ai-je répété.

— Et maintenant du Tout Propre Intérieur, au cas où quelque chose se serait immiscé dans votre système. Inhalez ceci, s’il vous plaît.

Elle avait dans la main un autre objet cylindrique, une fine bouteille avec une pompe mécanique cette fois, au lieu d’une buse d’aérosol. Elle a vaporisé un nuage devant moi. J’ai inspiré. L’air avait un goût de menthe.

— Et maintenant, le Réparateur, a poursuivi Tisse-le-Feu en dévissant le capuchon d’un autre cylindre. (Dessous, j’ai vu un petit tuyau terminé par une pomme d’arrosage.) Cela incite les tissus à se rejoindre, à pousser dans le bon sens.

Elle a versé un peu du liquide transparent dans la plaie, puis a serré entre ses doigts les lèvres de l’entaille. J’ai senti le contact, mais je n’ai pas eu mal.

— Je vais refermer ça avant de continuer. (Elle a pris un autre conteneur. Celui-ci renfermait un tube de pommade. Elle en a étalé une noisette sur son doigt. C’était visqueux et translucide.) C’est comme un adhésif, a-t-elle expliqué. Ça colle tout et ça permet au Réparateur de faire son travail. (D’un geste rapide, elle a étalé le produit sur ma blessure.) C’est fini. Vous pouvez bouger à présent. Votre bras est réparé.

Je l’ai levé pour regarder le travail. J’apercevais une fine ligne rose sous la pommade. Le sang était encore moite sur ma peau, mais le flot était arrêté. À l’aide d’une lingette, la Soigneuse m’a rapidement nettoyé le bras.

— Tournez le visage par ici, s’il vous plaît. Mouais… pas de chance. Vous avez heurté cette pierre juste dans le plus mauvais angle. Ce n’est pas joli joli.

— Oui. C’était une mauvaise chute.

— Dieu merci, vous avez réussi à conduire.

Elle versait du Réparateur sur ma joue, le faisant pénétrer avec le bout de ses doigts.

— J’adore voir ce produit agir… C’est déjà beaucoup moins vilain. Bon, passons aux bords de la plaie. (Elle a souri, satisfaite.) Une autre couche, peut-être. Je veux qu’on ne voie plus rien. (Elle a œuvré sur ma joue une minute encore, puis s’est redressée.) Parfait !

— Voici de l’eau, Tisse-le-Feu, a annoncé l’infirmière en revenant dans la salle.

— Merci, Bleu-Céleste.

— Prévenez-moi si vous avez besoin d’autre chose, je suis à la réception.

— Merci.

Bleu-Céleste est repartie. Venait-elle de la Planète des Fleurs ? Les fleurs bleues étaient rares – cela pouvait faire un beau nom.

— Vous pouvez vous asseoir à présent. Comment vous sentez-vous ?

Je me suis redressée.

— Bien. Très bien.

C’était la vérité. Jamais, depuis longtemps, je ne m’étais sentie aussi en forme. Le passage si rapide de la souffrance au confort était enivrant.

— Comme il se doit. Parfait. Saupoudrons à présent un peu de Tout Lisse.

Elle a dévissé le dernier flacon et versé une poudre iridescente dans sa paume. Elle l’a étalée sur ma joue puis en a appliqué une autre pincée sur mon poignet.

— Vous aurez toujours une petite ligne sur votre bras, s’est-elle excusée. Comme sur votre cou. C’était profond… (Elle a haussé les épaules. D’un geste machinal, elle a relevé mes cheveux pour examiner ma cicatrice.) C’est du beau travail. Qui était votre Soigneur ?

— Heu… Face-au-Soleil, ai-je répondu, donnant le nom de l’un de mes anciens étudiants. J’étais à Eureka, dans le Montana. Je n’aimais pas le climat. Je suis descendue vers le sud.

Tant de mensonges… Une boule d’angoisse s’est formée dans mon ventre.

— Moi, je viens du Maine, a-t-elle déclaré, sans rien remarquer de suspect dans ma voix. (Tout en parlant, elle nettoyait le sang qui avait coulé dans mon cou.) Il faisait trop froid pour moi. Quel est votre Emploi ?

— Je suis… serveuse. Dans un restaurant mexicain… à Phoenix. J’adore la cuisine épicée.

— Moi aussi. (Elle ne me regardait pas bizarrement. Elle m’essuyait la joue à présent.) Très joli. N’ayez aucune inquiétude, Aiguilles-de-Verre. Votre visage est superbe.

— Merci, Soigneuse.

— Je vous en prie. Vous voulez boire un peu ?

— Oui, avec plaisir.

Je me suis retenue. Il ne fallait pas que je me jette sur ce verre comme la misère sur le monde. Mais je n’ai pu m’empêcher de le boire tout entier. C’était trop bon.

— Vous en voulez encore ?

— Je… oui, ce serait très gentil de votre part. Merci.

— Je reviens tout de suite.

Dès qu’elle a franchi la porte, je me suis laissée glisser de la table d’auscultation. Le papier a crissé sous moi. Je me suis figée, saisie d’effroi. La Soigneuse n’est pas revenue en courant. Je n’avais que quelques secondes. Il avait fallu plusieurs minutes à Bleu-Céleste pour rapporter le verre d’eau. Avec un peu de chance, la Soigneuse ne serait pas plus rapide. Peut-être le distributeur d’eau fraîche était-il à l’autre bout du bâtiment ? Peut-être…

J’ai ôté mon sac à dos et ouvert la poche. J’ai commencé par la deuxième armoire, là où il y avait des piles de Réparateur. J’ai tout pris, versant les flacons pêle-mêle au fond du sac.

Et si on me surprenait ? Qu’allais-je leur dire ? Quel mensonge inventer ?

J’ai volé ensuite les deux sortes de Tout Propre dans la première armoire. Il y avait, derrière, une seconde rangée de produits. J’en ai pris la moitié. Je suis passé ensuite au Stop Douleur, deux piles de chaque. J’allais m’intéresser au Scellement quand les étiquettes de la rangée voisine ont attiré mon attention.

« Refroidisseur ». Contre la fièvre ? Il n’y avait pas de mode d’emploi, juste le nom. J’ai pris la pile. Rien ici ne pouvait faire de mal à un corps humain. C’était une évidence.

J’ai attrapé toutes les boîtes et deux bouteilles de Tout Lisse. Je ne voulais pas tenter le sort. J’ai refermé les armoires discrètement, j’ai passé mes bras sous les sangles du sac. Je me suis adossée contre la table, faisant à nouveau crisser le papier. Je devais me calmer.

La Soigneuse ne revenait toujours pas.

J’ai consulté l’horloge. Cela faisait une minute. Il était si loin, ce distributeur ?

Deux minutes.

Trois minutes.

Mes mensonges s’étaient-ils vus comme le nez au milieu de la figure ?

Des gouttes de sueur ont commencé à perler sur mon front. Je les ai essuyées nerveusement.

Et si elle revenait avec un Traqueur ?

J’ai pensé à la petite pilule dans ma poche et je me suis mise à trembler. Oui… pour Jamie…

J’ai entendu des pas s’approcher dans le couloir – deux personnes !

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